Le tract, d’un bleu pro­fond, dévoile une sil­hou­ette dess­inée dans un halo de lumière, comme sor­ti d’un film de sci­ence-fic­tion. Il était dis­tribué, l’air de rien, un matin à la sor­tie du métro. Son mes­sage n’a pour­tant rien d’anec­do­tique. « Con­férence : la vie après la mort », clame-t-il. Avant de détailler : « Y a‑t-il un au-delà ? Com­ment ça se passe ? Peut-on croire en la réin­car­na­tion ? Sci­en­tolo­gie : osez décou­vrir ce que vous ne savez pas sur vous. » Le prospec­tus, imprimé en 2013, vaut une invi­ta­tion pour cette con­férence qui se tient « tous les samedis à 16 heures ». Chiche. Pam­pa Mag a hon­oré le rendez-vous.

 

ÉTAPE 1 : L’ACCUEIL

Les locaux parisiens de l’Eglise de sci­en­tolo­gie sont instal­lés rue Legendre, en plein quarti­er des Batig­nolles, dans le 17e arrondisse­ment. Der­rière les portes vit­rées automa­tisées, le hall se déploie, accueil­lant, lumineux, car­relage sable et murs immac­ulés. Une récep­tion­niste aux cheveux blonds et au sourire impec­ca­ble hon­ore les coups de fil et tape sur le clavier de son ordi­na­teur, ne redres­sant la tête que pour lancer un « Bon­jour » rasséré­nant à qui fait son entrée. On pour­rait se croire sans mal dans une clin­ique den­taire, s’il n’y avait, ici et là, ces livres et DVD entassés sur des étagères et leur prix écrits dessous en très petits car­ac­tères. Il fau­dra dépenser 18 euros pour s’offrir Le chemin du bon­heur, un « long-métrage fasci­nant » qui ini­tie au bien-être façon scientologie.

Julien*, le trente­naire avenant qui fait son entrée, sourit autant que la récep­tion­niste. Dents bien droites et bien blanch­es. Voix posée. « Il y a des retar­dataires, prévient-il, l’air ravi. Je vais vous faire patien­ter dans la cafétéria, le temps qu’ils arrivent. Suivez-moi. »

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Le nom­bre de livres sur la sci­en­tolo­gie écrits par L. Ron Hub­bard, fon­da­teur du mouvement 

Il y a de tout dans la cafétéria de l’Eglise de sci­en­tolo­gie. Bananes, poires, chips, oeufs durs « bio » et assor­ti­ments de fruits secs — une quin­quagé­naire vante d’ailleurs « l’énergie saine » qu’ils pro­curent. Dans un coin, sur un présen­toir, trô­nent trois numéros de Com­mu­ni­ty, le mag­a­zine de la com­mu­nauté des sci­en­to­logues, papi­er glacé et esthé­tique à la Van­i­ty Fair.

A la Une souri­ent des sci­en­to­logues glam­our, vit­rines idéales de ce mou­ve­ment qui a le plus sou­vent mau­vaise presse : l’actrice améri­caine Kel­ly Pre­ston, le comé­di­en français Math­eo Capel­li, aperçu dans Braquo ou Plus belle la vie, ou encore Ilar­ia Urbinati, une styl­iste qui habille le tout Hol­ly­wood et glo­ri­fie, dans son inter­view, le « pro­gramme de Purifi­ca­tion » de la sci­en­tolo­gie, qu’elle qual­i­fie d’« expéri­ence vrai­ment incroy­able ».

« Je vous offre un café ? » pro­pose Julien, en réap­pa­rais­sant. Avant de nous guider jusqu’à l’étage supérieur, où Roger*, annonce-t-il, sera notre conférencier.

ÉTAPE 2 : LA DÉMONSTRATION

C’est un homme d’une cinquan­taine d’années, frêle et pro­pre sur lui, qui nous attend dans une petite pièce chaleureuse. Comme les autres, il est souri­ant. Très souri­ant. Il nous souhaite la bien­v­enue et nous invite à nous installer dans l’un des fau­teuils et divans moelleux qui nous font face. On se sen­ti­rait presque comme à la mai­son, Roger, Mar­tin et nous, prêts à démar­rer la con­ver­sa­tion. « Deux retar­dataires vont nous rejoin­dre », promet Roger.

Avant de com­mencer, il demande ce que nous con­nais­sons déjà de la sci­en­tolo­gie, sûre­ment pour adapter son dis­cours à notre pro­fil. Notre core­li­gion­naire du jour, Mar­tin*, un neu­ro­logue alle­mand, a déjà quelques notions. Tout juste sor­ti d’une psy­ch­analyse, il est curieux de « voir à quoi ressem­ble vrai­ment la sci­en­tolo­gie » et con­naît déjà le nom de L. Ron Hub­bard, le fon­da­teur du mouvement.

Vous êtes un thé­tanCita­tion extraite d’un film de présentation

En guise de prélim­i­naire, une vidéo est pro­jetée sur un écran plat de taille moyenne, qui ren­force l’impression d’un salon famil­ial, les dix-huit livres écrits par Hub­bard, posés là sur une étagère, en plus. Une voix hol­ly­woo­d­i­enne rythme le film sur fond de musique dynamique et psy­chédélique pour nous faire pren­dre con­science de notre pro­pre exis­tence. Des images dignes des ban­ques d’images les plus kitsch défi­lent devant nos yeux, avec beau­coup trop de lumière.

Sur l’écran, une fil­lette appa­raît, le vis­age aus­si exagéré­ment radieux, allongée dans une prairie. Suiv­ent un gym­naste aux mus­cles gon­flés, une joyeuse réu­nion de copines. Tout ça pour nous expli­quer ce que nous ne sommes pas. « D’instinct, vous savez que votre corps est quelque chose que vous avez ; il n’est non pas ce que vous êtes, mais quelque chose dont vous vous servez »… Et surtout ce que nous sommes : « un thé­tan ». Un esprit. Qui a un men­tal. Et occupe momen­tané­ment un corps. On com­prend vite que cette notion de thé­tan va être essen­tielle à notre initiation.

A la fin du vision­nage, Roger nous regarde pro­fondé­ment : « Qu’avez-vous com­pris ? » Un homme avoue : c’é­tait du chara­bia. « Ne vous inquiétez pas, on va repren­dre la démon­stra­tion ensem­ble. » Et c’est par­ti pour une heure pen­dant laque­lle rien ne sera affir­mé, tout sera suggéré.

Oui, c’est vous ! C’est vous qui regardez le chat. Pour­tant, vous n’utilisez pas vos yeux. Roger, sci­en­to­logue

« Visu­alisez un chat. Fer­mez les yeux et visu­alisez un chat. Vous l’avez, Ingrid ? Mar­tin ? Valentin, c’est bon ?, inter­pelle Roger, doux et direc­tif à la fois. Après une con­fir­ma­tion col­lec­tive, suit un dia­logue ridicule­ment naïf. Qui regarde ce chat ?

- C’est moi ?, essaie-t-on, tou­jours les yeux fer­més, pas cer­tains de com­pren­dre dans quoi on s’est embarqué.

- Oui, c’est vous ! C’est vous qui regardez le chat. Pour­tant, vous n’utilisez pas vos yeux. Le chat existe dans votre esprit. Vous le visu­alisez grâce à votre mental. »

Esprit ? Men­tal ? Est-ce la même chose ? Non, et c’est là qu’on com­mence à vrai­ment entr­er dans une théolo­gie appro­fondie, avec ses codes, ses néol­o­gismes. C’est avec cette dif­férence entre le men­tal et l’esprit que Roger nous donne l’impression qu’on a vrai­ment besoin de lui pour com­pren­dre la vie et rel­a­tivis­er la mort.

Les sci­en­to­logues croient que chaque être pos­sède deux « men­tals » : un men­tal ana­ly­tique et un men­tal réac­t­if. Le pre­mier serait le men­tal de la sur­face, com­posé de sou­venirs con­scients : votre spec­ta­cle de danse de six­ième, votre nuit de noces, la dernière fois que vous êtes par­tis en vacances… Pour les représen­ter, Roger a un geste flu­ide de la main. Le sec­ond men­tal serait au con­traire celui du refoulé, rassem­blant toutes les émo­tions que l’on aurait vécues et oubliées, lors d’une anesthésie générale ou depuis des siè­cles (oui, oui), pour laiss­er une trace indélé­bile mais incon­sciente. Là, Roger serre le poing pour illus­tr­er son pro­pos. Des images qui nous hanteraient et qu’il faudrait faire resur­gir pour s’en débarrasser.

« Si vous vous dis­putez avec votre col­lègue, vous vous sen­tirez mal le soir venu. Mais votre mal-être provient-il vrai­ment de cette dis­pute ? Non, il est causé par une image men­tale néga­tive antérieure dont vous n’avez pas con­science, qui est réac­tivée par cette colère momentanée. »

Visu­alisez un sou­venir d’il y a cent ans. Vous l’avez Ingrid ? Mar­tin ? Valentin ? Roger, sci­en­to­logue

Nous masquons notre scep­ti­cisme der­rière un air fasciné. Comme si on était prêt à dépass­er toutes nos psy­choses. C’est juste­ment le but de la séance : nous mon­tr­er que ces angoiss­es peu­vent être bal­ayées, grâce à l’« audi­tion ». Cette pra­tique essen­tielle de la sci­en­tolo­gie n’a pas l’air bien éloignée de la grosse manip­u­la­tion. Il s’agit de plonger dans ses sou­venirs, grâce à un sci­en­to­logue con­fir­mé, un « audi­teur », qui nous per­met de « recevoir l’audition ». En répon­dant à des ques­tions, celui qui « reçoit l’audition » réduit ses images men­tales néga­tives et prend con­science de ses vies antérieures. Le seul moyen pour être réelle­ment immortel.

Roger nous en donne un petit aperçu :

« Visu­alisez un sou­venir d’il y a cent ans.

Vous l’avez Ingrid ? Mar­tin ? Valentin ? »

On lui bal­ance les pre­mières images que nous évoque l’année 1916, piochées dans nos livres d’histoire de col­lège : poilus dans les tranchées, femmes dés­espérées en arrière-ligne. Avant de renou­vel­er l’expérience à plusieurs repris­es, avec des sou­venirs d’il y a 200 ans, 1 000 ans, 2 000 ans… « Je vois Marie-Madeleine au pied de la croix », tente-t-on, le plus sérieuse­ment pos­si­ble. « Très bien ! for­mi­da­ble ! » s’enthousiasme notre con­férenci­er. Mais cette image n’a pour­tant pas la réal­ité d’un sou­venir, fait-on remar­quer. Peu importe, coupe Roger qui bal­aie nos doutes grâce à une pirou­ette séman­tique. « Ce n’est peut-être pas LA vérité comme on l’apprend dans nos sociétés. Mais c’est VOTRE vérité. » Et si NOTRE vérité fait resur­gir des sou­venirs d’il y a plusieurs mil­lé­naires, c’est que nous avons bel et bien vécu d’autres vies avant celle-ci, non ?

Par exem­ple, si on me dit que le télé­phone tombe si je le lâche, ce n’est pas une vérité Roger, sci­en­to­logue

« Mais alors, cela veut dire qu’on est immor­tel, que l’on vivra encore d’autres vies et que nous pour­rons en avoir con­science ? » demande-t-on. « Dans l’hypothèse où tout cela serait vrai, min­imise soudaine­ment Roger, comme s’il ne voulait nous promet­tre l’immortalité sans con­trepar­tie, alors oui. Encore faut-il que vous fassiez l’expérience de cette vérité par vous-mêmes. Ce n’est pas à moi d’affirmer les choses, mais à vous de les véri­fi­er. Par exem­ple, mime-t-il en attra­pant son Black­ber­ry, si on me dit que le télé­phone tombe si je le lâche, ce n’est pas une vérité. » Il desserre sa main et le télé­phone chute. « Voilà, main­tenant, c’est une vérité. »

En somme, l’immortalité exis­terait. A une con­di­tion : mul­ti­pli­er les séances d’audition. Jusqu’à com­bi­en ? Pour quel prix ? A chaque ten­ta­tive d’éclaircissement, Roger élude : « Ne vous inquiétez pas, vous pour­rez pos­er toutes vos ques­tions à quelqu’un, après… » La séance prend fin. Les retar­dataires promis ne sont jamais arrivés.

ÉTAPE 3 : LE RECRUTEMENT

Retour à la cafétéria. « Alors ? » s’enquiert Mar­tin auprès de nous, comme s’il attendait un assen­ti­ment pour aller plus loin. Pas le temps de répon­dre que déjà Julien revient, empêchant tout aparté entre nou­veaux venus. Il nous faut le suiv­re pour la foire aux questions.

Capture d'une vidéo à la gloire du fondateur de la scientologie, sur lronhubbard.fr

Cap­ture d’une vidéo à la gloire de L. Ron Hubbard

La dis­cus­sion se déroule dans une pièce fer­mée. Julien évoque d’abord L. Ron Hub­bard, « un extra­or­di­naire aven­turi­er, spé­cial­iste en physique nucléaire, voyageur et pilote d’avion », pas­sant sous silence qu’il s’ag­it avant tout d’un auteur de sci­ence-fic­tion. Lui-même racon­te qu’il « était affreuse­ment timide avant » mais que la sci­en­tolo­gie l’a aidé à affron­ter le regard des autres. Glisse que l’Eglise tient à être « indépen­dante finan­cière­ment », ce qui sig­ni­fie qu’une « par­tic­i­pa­tion » des fidèles est exigée. Lui est « bénév­ole », l’après-midi, le soir, le week-end et tra­vaille unique­ment le matin, en tant que chargé de rela­tions publiques dans une entre­prise spé­cial­isée en car­togra­phie, décou­vri­ra-t-on plus tard sur son pro­fil Linkedin.

Pourquoi la sci­en­tolo­gie est-elle assim­ilée à une secte ? l’interroge-t-on. N’y a‑t-il pas eu des abus dans le passé ? « Je ne vais pas men­tir et dire que tout est par­fait, com­mence Julien. Dans chaque groupe, des per­son­nes font des erreurs. Mais nous avons gag­né qua­si­ment tous nos procès. »

600 000€
C’est le mon­tant pour lequel l’Eglise sci­en­to­logue de France a été con­damnée en 2009, pour escro­querie en bande organisée. 

Pourquoi des procès sont-ils inten­tés ? « Nous dis­ons des choses qui dérangent : il y a des résis­tances, c’est nor­mal. Vous savez, Socrate et Galilée étaient détestés à leur époque. Gand­hi a passé la moitié de sa vie en prison. Mar­tin Luther King a eu une exis­tence dif­fi­cile. Ron L. Hub­bard est dans cette lignée », affirme-t-il, doc­tor­al. D’un air enten­du, il pour­suit : « Notre mou­ve­ment amène à attein­dre un bon­heur plus grand, mais la France, on le sait, est l’un des pays les plus con­som­ma­teurs d’antidépresseurs. For­cé­ment, nous dérangeons un busi­ness. Les lob­bies de l’industrie phar­ma­ceu­tique cherchent à nous nuire… »

Nous n’in­sis­tons pas sur les con­damna­tions, peu glo­rieuses, des sci­en­to­logues en France. En 1978, par exem­ple, la treiz­ième cham­bre cor­rec­tion­nelle du tri­bunal de Paris a pronon­cé qua­tre ans de prison par con­tu­mace à l’encontre du fon­da­teur Ron L. Hub­bard pour escro­querie. En 2009, c’est pour escro­querie en bande organ­isée que l’organisation a été con­damnée à 600 000 euros d’amende par la cour d’appel de Paris. « Cette organ­i­sa­tion se car­ac­térise par son prosé­lytisme », remar­que-t-on à la Mis­sion inter­min­istérielle de vig­i­lance et de lutte con­tre les dérives sec­taires (MIVILUDES), qui indique que « cette organ­i­sa­tion fait l’ob­jet d’une con­stante vig­i­lance de [leur] part ».

Ce qui serait bien pour vous, c’est de venir à un sémi­naire d’initiation de deux jours Julien, sci­en­to­logue

Julien nous garde encore une heure, cherche à com­pren­dre ce qui nous amène ici, ce qui nous fait souf­frir, ce que l’on aimerait chang­er dans nos vies, et con­serve tout du long le même ton bien­veil­lant. Au terme de cette psy­chothérapie impro­visée, il a une propo­si­tion : « Ce qui serait bien pour vous, c’est de venir à un sémi­naire d’initiation de deux jours. » Sans pré­cis­er aucun mon­tant (lorsqu’on le rap­pelle, deux jours plus tard, il évoque une somme « autour de 90 euros »). « Ou bien, prenez un livre ou un DVD… » Nous l’éconduisons poliment.

Dans le hall, Julien insiste pour nous faire revenir dès la semaine suiv­ante, en nous dis­tribuant un « test de per­son­nal­ité » de 200 ques­tions, à rem­plir chez nous. Il fau­dra, si l’on souhaite en décou­vrir les résul­tats, revenir sur place. Une pre­mière étape sur le chemin de l’immortalité.

Extrait du test de personnalité

Extrait du test de personnalité

(*) Les prénoms ont été modifiés.

Crédit pho­to : © cap­ture d’écran d’une vidéo de scientologie.fr

Des méth­odes de recrute­ment déjà identifiées
Ren­con­tre en tête-à-tête, con­seils de lec­tures et de films, « test de per­son­nal­ité », « audi­tion »… Les tech­niques des sci­en­to­logues, pour met­tre sous emprise des novices, demeurent inchangées. Elles ont été recen­sées dès 2002, dans une thèse de doc­tor­at de droit privé et de sci­ences crim­inelles à l’université de Cer­gy-Pon­toise, signée Arnaud Palis­son, un fonc­tion­naire du min­istère de l’intérieur qui avait infil­tré l’Eglise à l’époque. « Dès son adhé­sion à la secte, y soulig­nait-il, [le néo­phyte en sci­en­tolo­gie] se retrou­ve per­du, au milieu de la mul­ti­tude d’ouvrages du fon­da­teur, ne com­prenant pas un mot du jar­gon sci­en­tologique. Le nou­v­el adepte s’en remet com­plète­ment aux sug­ges­tions du sec­ta­teur chargé de lui ven­dre les pro­duits de la secte. » Dans cette pub­li­ca­tion, Arnaud Palis­son relève que les tar­ifs d’une « audi­tion » peu­vent coûter entre 170 euros et 550 euros ; cer­tains cours avancés pou­vant attein­dre jusqu’à 4 750 euros.